Et si on parlait… Loi Darcos et frais d’envoi minimum pour les livres… 💸

Et si on parlait...

Lecteurs, lectrices, bonjour. Ouh là ! Que c’est sérieux ! 😶 Et oui, ça l’est, parce que aujourd’hui, j’aimerais vous parler de la fameuse loi n°2021-1901 du 30 décembre 2021, aussi appelée « Loi Darcos » 📜

Qu’est-ce que cette loi Darcos ? Et bien c’est simple, c’est une loi qui a été promulguée le 30 décembre 2021 et dont l’objectif est de « conforter l’économie du livre et […] renforcer l’équité et la confiance entre ses acteurs ». Pour cela, un montant minimum de frais de port est instauré pour les envois de livres. Cette loi ne fixait pas ledit montant, celui-ci a été fixé récemment par l’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Électroniques, des Postes et de la distribution de la presse). Vous en avez certainement entendu parler, non ?

Pour les explications, c’est simple. L’objectif affiché de cette loi serait de « rétablir une plus juste concurrence entre les différents vendeurs de livres ». Autrement dit et pour faire court : faire un f*ck à Amazon. Et pour ce faire, rien de plus simple ! Enfin, pour le gouvernement, parce que personnellement, je trouve cette mesure complètement naze, et je reste polie… 😑

L’arrêté du 7 avril 2023 fixe donc à 3 euros TTC (manquerait plus que ce soit hors taxes 🙄) les frais d’expédition minimums pour tout achat de livres neufs pour un montant inférieur à 35 euros (TTC également, bien sûr, et encore heureux…). En revanche, pour toute commande supérieure à 35 euros, les frais de port pourront être proposés à 0,01 euro. De même, toute livraison en librairie serait proposée sans frais de port. Il ne manquerait plus qu’on doive payer pour une livraison en magasin ! 🤦‍♀️

D’ailleurs, si vous êtes client Amazon Prime, n’espérez pas passer à côté, ça ne fonctionnera pas. En effet, dans l’article d’ActuaLitté du 12 avril 2023, on peut lire que « les abonnements proposés par certains acteurs de la vente en ligne ne pourront pas faire disparaître ce tarif minimum de l’expédition ». Amazon n’est pas spécifiquement nommé, mais il est facile de comprendre qu’il est question de ce type d’abonnement…

Le tableau ci-dessous, proposé par ActuaLitté dans son article du 22 septembre 2022, est suffisamment clair :
Tarif minimum de la prestation de livraison de livresTous les acteurs du livre seront concernés par cette loi, à l’exception des vendeurs de livres d’occasion. Jusqu’à quand ?…

Libraires indépendants, Amazon, Fnac, Cultura, leslibraires.fr, les éditeurs qui vendent en ligne sur leur propre site, les auteurs autoédités… Tous seront dans l’obligation de demander au minimum 3 euros de frais d’envoi. Au minimum, parce que bien sûr, la différence de prix entre ce tarif et ceux de La Poste resteront à leur charge. Autant dire que les plus petits acteurs ne pourront se permettre de proposer ce tarif minimum, pas plus qu’ils ne pouvaient proposer une livraison quasi gratuite jusque là. En effet, comme on peut le lire dans l’article d’ActuaLitté du 14 avril 2023, « le montant de 3 euros serait en effet suffisamment élevé pour dissuader certains clients, mais trop bas pour couvrir l’intégralité des frais d’envoi des livres, notamment pour les plus petits acteurs… » En quoi cela va-t-il aider les libraires et les petits acteurs du monde littéraire ? J’ai beau y réfléchir, je ne vois pas l’intérêt d’une telle loi, en tout cas dans ces termes.

Et cet avis est partagé par la Commission européenne qui, à plusieurs reprises, a pointé une « distorsion de concurrence » (les « gros » auront les moyens de prendre en charge la différence entre les 3 euros et les frais réels, les « petits » toujours pas). De plus, cela ne fera que causer « une augmentation significative du prix final […] sans forcément restaurer l’équité entre les acteurs de la vente ». Elle insiste également sur le fait que cette législation porterait « atteinte à l’objectif d’égalité d’accès aux livres ».

Alors que le Syndicat de la Librairie Française (SLF) se montrait peu convaincu par la proposition de l’ARCEP et que la Commission européenne, en sus de ses réserves déjà précisées plus haut, soulignait qu’aucune étude préalable n’avait été faite sur l’impact d’une telle mesure, les ministères de la Culture et de l’Économie ont cosigné l’arrêt fixant ce tarif « plancher » à 3 euros. En gros, ils n’ont rien à faire de l’avis de qui que ce soit (mais est-ce si surprenant ? Bref…).

Une évaluation sera bien sûr faite sur la fiabilité d’une telle mesure, mais dans un délai de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi, soit jusqu’en octobre 2025 au plus tard. Une étude préalable sur les habitudes de consommation de livres par les français, et en particulier la manière dont ils se procurent les livres, aurait certainement montré l’ineptie d’une telle loi. Mais pourquoi dépenser de l’argent à faire une étude utile si on peut voter une loi inutile et contre-productive mais qui ne coûte rien ?

J’avoue ne pas comprendre l’intérêt d’une telle mesure, je pense que vous l’aurez déjà compris. Encore une fois, j’ai le sentiment que le gouvernement prend le problème à l’envers. En quoi obliger tous les acteurs du livre à faire payer 3 euros supplémentaires va aider les libraires à concurrencer les e-commerces (et Amazon en tête) ? Pourquoi ne pas avoir réfléchi plutôt à une tarification spéciale pour les envois de livres ? Et bien, parce que, selon l’article d’ActuaLitté du 12 décembre 2022, cela « nécessiterait un engagement financier de l’État, contre un tarif minimum des frais de port qui ne lui coûte rien. » Évidemment puisque, encore une fois, ce sont les acteurs du livre qui devront prendre ces frais à leur charge, quand ils pourront proposer un tarif moins élevé que ceux de La Poste (qui sont proprement exorbitants pour un service de moins en moins satisfaisant, mais ceci est un autre débat…).

Personnellement, avec cette loi, je vois plutôt venir une baisse des ventes de livres physiques au profit du numérique (qui n’est pas encore taxé à ce niveau mais, comme pour les livres d’occasion, jusqu’à quand ?). Cette mesure ne va aider en rien les libraires ou les éditeurs, en tout cas pas les plus petits et les indépendants. Bien au contraire !

À titre personnel, j’achète souvent des livres en occasion, pour des questions de budget principalement, et j’ai la chance de recevoir beaucoup de livres neufs au moment des fêtes, ou de pouvoir profiter de cartes cadeaux. Pour autant, il m’arrive bien évidemment d’acheter des livres neufs, en librairie ou en ligne (sur Amazon pour des questions pratiques – j’en ai déjà parlé dans un autre article – ou directement chez les éditeurs). Avec une telle mesure, je vais forcément acheter moins, ou commander plus de livres en une fois, reportant donc des achats jusqu’à atteindre le montant de 35 euros qui me permettra d’éviter ces 3 euros supplémentaires. Par ailleurs, depuis un certain temps je réfléchis à m’inscrire en bibliothèque, bien que l’emprunt demande toute une organisation, raison pour laquelle je ne l’avais pas encore fait. Autant dire que je ne vais plus beaucoup acheter de livres…

3 euros, ça peut sembler peu à certains. Mais c’est un budget conséquent quand on considère le prix, par exemple, d’un livre de poche. Pour 7 ou 8 euros le livre, il faudra ajouter près de la moitié du prix du livre en frais de port ! C’est énorme ! Cela ne fera que pénaliser davantage les petits lecteurs (et les petits budgets, évidemment), qui n’achètent que peu de livres et ne les incitera pas à acheter et à lire plus, bien au contraire. 

De plus, dans mon article sur Amazon, je pointais également le fait que, pour certains, se faire livrer à domicile (par Amazon ou non) présente des avantages. Il n’est pas possible à tout le monde de se rendre en librairie, parce qu’il n’y en a pas à proximité, parce qu’il faut commander sur place un livre indisponible et revenir le chercher et que cela prend du temps, parce que les horaires d’ouverture des librairies ne sont pas forcément compatibles avec notre rythme de vie… Les raisons de passer par internet sont nombreuses et variées.

En définitive, cette loi ne va faire que freiner l’accès aux livres et ne favorisera que les plus gros consommateurs, les plus aisés, et les plus gros acteurs du monde du livre. Encore une fois, les petits consommateurs, les petits lecteurs, les moins « riches » seront pénalisés… Une belle idée, vraiment 🤦‍♀️