Il y a quelques mois, j’avais consacré un article à la question des « auteurices problématiques« , en mettant surtout l’accent sur le vrai problème, à savoir certain•es lecteurices. Aujourd’hui, le constat est clair : il me faut en parler plus en détails, et il y a des choses à dire 🙄
Après la question de « qui on doit lire ou pas » que j’avais longuement abordée, je pensais naïvement avoir fait le tour de la question et pouvoir passer à autre chose. Et bien… non 😮💨
Il y a quelques jours, une lectrice sur Threads écrivait textuellement « BAH NON EN FAIT ! VOILÀ, C’EST DIT ! » en réponse au souhait de nombreuses personnes qu’on les laisse lire en paix. Il m’a semblé évident, derrière ces mots, qu’elle estime que le choix ne doit pas être laissé aux lecteurices, et donc que la « bien-pensance » doit prédominer. Ça faisait déjà plusieurs jours que ce genre d’idée était exprimée sur le réseau, c’était la fois de trop pour moi, et je lui ai répondu, en argumentant, puisque j’estime que personne n’a à nous dire ce qu’on peut ou non lire, pas plus que quiconque n’a le droit de nous dire quoi manger, comment nous habiller, que regarder à la télévision, et j’en passe. Ce sont des choix qui nous regardent personnellement.
Évidemment… elle n’a pas accepté mes arguments, mais a poussé les choses encore plus loin, allant jusqu’à m’accuser de la harceler, alors qu’elle m’inondait de réponses toutes plus vides de sens les unes que les autres, y compris lorsque je répondais à une autre personne qu’elle. Ce qu’elle avait à m’opposer comme arguments ? Des insultes à peine voilées et des insinuations sur ma personne (et mes goûts prétendument limites légalement et moralement). Pourquoi faire ? Pour tenter de me blesser, j’imagine, et de se faire bien voir, ce qui n’a évidemment servi à rien. En revanche, je la remercie pour m’avoir donné matière à cet article, parce qu’elle a coché beaucoup de cases de la « lectrice problématique » 🙄
À quoi peut-on reconnaître un•e lecteurice problématique ? C’est simple. Et pour faciliter les choses, je vais surtout genrer ce profil au féminin, étant donné que ce sont, d’après mon expérience personnelle, le plus souvent des femmes…
Tout d’abord, la lectrice problématique juge tout, tout le temps, à commencer par les auteurices qu’on lit. Ainsi, elle décidera de qui mérite d’être lu ou non (point que j’avais donc abordé dans mon article sur les auteurices problématiques), en se basant sur des critères subjectifs, souvent basés sur des rumeurs, des on-dit, sur quelques lignes d’un résumé ou sur une communication sur les réseaux. Ce jugement de valeur est très rarement fondé sur des faits, évidemment 🙄
De même, la lectrice problématique juge ce qui est « bon », « normal » à écrire ou ce qui ne l’est pas, et balancera des injonctions à tout-va sur la manière d’écrire ou les sujets qui sont légitimes à aborder. Ainsi, une autrice non queer ne sera pas légitime à écrire une romance queer, ou inversement (même si on le leur reproche moins souvent, étonnamment 🙄), ou un auteur non racisé ne pourra pas parler de racisme dans son livre (sous prétexte qu’il ne sait pas ce que c’est puisque ne le vivant pas au quotidien). La lectrice problématique tape fort sur le genre et l’identité sexuelle (réelle ou supposée) des auteurices et, par extension, des lecteurices, comme si lire une romance queer n’était réservé qu’aux lecteurices queer 🙄
La lectrice problématique oublie également que certains sujets font (heureusement) partie d’un passé que personne n’a connu, comme tout ce qui touche à l’Histoire en général dès qu’on remonte plusieurs dizaines ou centaines d’années en arrière. Ainsi, pour la lectrice problématique, il y a certaines questions historiques qu’on ne devrait pas aborder, alors que ce sont des faits vérifiables et la plupart du temps vérifiés par les auteurices qui écrivent sur ces sujets. La lectrice problématique ne veut pas qu’on lui mette les erreurs de l’humanité sous le nez, certainement 🤫 Et même lorsque des sujets encore actuels sont abordés, elle ne les voit que sous un certain angle (exemple classique et volontairement stéréotypé : l’esclavage ne concernerait que les personnes noires, mais n’existerait pas dans des pays d’Asie…). La lectrice problématique ne réfléchit que rarement au-delà de ce qui est le plus couramment connu 😕
D’ailleurs, tout sujet difficile sera surtout rejeté d’office. Ainsi, on ne parlera pas d’esclavage, d’inceste, de santé mentale, et j’en passe. Tout ça, c’est tabou, ou presque ! 🤫 Parce qu’il y a des exceptions. Si l’auteurice est directement (et ouvertement) concerné•e, la lectrice problématique va râler, mais davantage par rapport au sujet abordé. Encore faut-il que la lectrice problématique prenne le temps de se renseigner : est-ce que l’auteurice est directement concernée ? Ou a fait appel à des personnes concernées pour l’aider à écrire son livre ? Ou s’est renseigné correctement avant de se lancer dans l’écriture ? La lectrice problématique n’a pas le temps de se poser ces questions ni de chercher à le savoir, elle est trop pressée de qualifier l’auteurice ou le roman de problématique et d’en parler (en mal, bien sûr) au monde entier, en se plaignant qu’on lui réponde quand on n’est pas d’accord avec elle 😆 Parce que bien sûr, c’est bien connu : quand on fait un post sur un réseau social ouvert à tous, personne ne va nous répondre ! 😂
Et si on a le malheur de lui donner un point de vue différent du sien, la lectrice problématique montera sur ses grands chevaux, accusant l’autre de harcèlement (tout en le harcelant), l’insultant en disant que l’autre a commencé (évidemment 🙄) et se posant en pauvre victime des réseaux ou tout le monde est méchant, finissant par bloquer la personne avec qui elle est entrée elle-même en conflit. Il lui aura fallu du temps avant de prendre cette décision, certainement dans une optique de bien montrer qu’elle est une pauvre lectrice harcelée 🤷♀️ Honnêtement, je n’ai jamais compris pourquoi ces personnes insistent autant jusqu’à harceler quelqu’un qui n’est visiblement pas d’accord. Pourquoi discuter puisqu’on voit que ça ne sert à rien ? 🤔
La lectrice problématique est également capable, même si ce n’est pas très courant, d’organiser (seule ou avec d’autres lectrices problématiques) ce qu’on appelle des « hate read« . Elle est donc capable de lire exprès un ouvrage qu’elle qualifie (avant même la première ligne) de problématique juste pour en faire un retour négatif. Je n’en comprends toujours pas l’intérêt 🤷♀️ Là aussi, j’ai consacré tout un article à ce sujet, je ne vais donc pas y revenir plus en détail ici, mais l’article est toujours disponible, évidemment.
La lectrice problématique n’est pas tendre avec les auteurices, mais elle est encore pire avec les autres lecteurices. Ainsi, elle jugera chacune de vos lectures : qui vous lisez (évidemment), ce que vous lisez (quel genre littéraire), et décidera arbitrairement de ce que vous pouvez ou non partager sur les réseaux et comment. Et le jugement peut aller très loin… Un exemple ? Si vous lisez des thrillers, vous êtes psychopathe (véridique 😅), si vous aimez la dark romance, vous êtes pervers•e, et si vous défendez le droit des auteurices à écrire sur les sujets qu’iels veulent et le droit des lecteurices à lire ce qu’iels veulent (dans les limites légales, bien sûr), alors c’est vous qui êtes la pire des personnes qui soit… Même si vous ne lisez pas ces auteurices et ces livres jugés problématiques ! 😆 Le nombre de fois où on m’a accusée de lire des textes jugés problématiques juste parce que je défendais le droit de chacun de faire ses propres choix ! En fait, dès qu’on exprime un avis divergent, on devient soi-même problématique 🤷♀️
Certaines lectrices problématiques vont aller jusqu’à juger ce qui est donc « légitime » ou ne l’est pas, voire, comme j’ai pu le lire ou l’entendre parfois, ce qui est « de la littérature » ou n’en est pas. Ce genre de jugement en particulier est le plus souvent posé par des lecteurices (hommes et femmes) qui ne lisent que des classiques et/ou ce qu’on appelle la littérature blanche. Il existerait donc une hiérarchisation des œuvres, entre les « bons » livres, ceux des grands auteurs, et ceux qui ne le sont pas, donc la littérature de l’imaginaire, les mangas, les graphiques en général… Ce genre de lecteurice problématique est moins courant, mais je les mets dans le même panier, car le discours est plus centré mais tout aussi discriminant et jugeant.
Et si vous partagez vos lectures sur un réseau quel qu’il soit et de quelque manière que ce soit (texte, photo + texte ou vidéo), il vous arrive certainement de parler de livres que vous n’avez pas aimé. Là, vous risquez également de tomber sur un profil souvent lié au précédent (l’adepte des « vrais » livres). Personnellement, j’estime que les avis négatifs sont aussi importants (tant qu’ils sont respectueux) que les avis positifs, car ils permettent à d’autres lecteurices de se faire une idée avant de se lancer éventuellement dans une lecture. J’aime souvent lire/écouter les avis négatifs, même si je ne les partage pas toujours 😅 Les lecteurices problématiques, au contraire, ne supporteront pas que vous n’ayez pas apprécié ce chef-d’œuvre qu’eux adulent. Crime de lèse-majesté ! Au bûcher ! 🔥 Ils vous diront que vous n’avez pas compris la beauté de l’œuvre, la qualité d’écriture de l’auteurice, que vous êtes trop jeune pour comprendre, que vous n’avez pas la maturité (voire l’intelligence) nécessaire, etc. Ils ne manqueront pas de pseudo arguments qui ne servent qu’à tenter de vous rabaisser. Ne les écoutez jamais ! C’est votre ressenti qui compte, pas le leur ! 😮💨
La lectrice problématique, non contente de juger vos lectures et vos avis, réels ou supposés, ne s’arrête pas là. Elle juge également le nombre de livres que vous achetez chaque mois (si vous partagez vos achats et réceptions), estimant que vous n’aurez pas à vous plaindre d’éventuelles difficultés financières ou du prix des livres (vous n’avez qu’à en acheter moins, voyons !). À croire que l’argent sort de leur portefeuille et non du vôtre 🙄 Et si vous recevez des services presse, elle estimera que tout avis que vous pourriez partager sera forcément biaisé puisque, c’est bien connu, toutes les maisons d’éditions n’attendent que des retours positifs 🙄 Il y a des exceptions, bien sûr, mais elles ne sont que ça : des exceptions ! Et une chronique d’un service presse n’a pas à être positive à tout prix. Parfois, ça ne passe pas, on abandonne même la lecture du livre, et ce n’est pas grave ! Mais la lectrice problématique ne le saura pas, puisqu’elle ne lira même pas votre chronique. Indiquez simplement « reçu en SP » et pouf ! La lectrice problématique décide que vous mentez si vous dites avoir aimé l’ouvrage… La lectrice problématique ne cherche jamais à comprendre, elle ne réfléchit pas plus loin que le bout de son nez.
La lectrice problématique ira toujours plus loin et jugera (fort) le nombre de livres que vous avez dans votre Pile À Lire. Plus vous en avez, plus elle vous jugera ! J’ai même lu récemment que si on a beaucoup de livres dans sa PAL, c’est pour « se la jouer lecteur » 🤔 Au moment où j’écris cet article, nous sommes à peu près à la mi-août. J’ai une PAL énorme (j’en suis consciente) d’environ 830 livres. Le nombre des quelques achats que je fais (assez peu nombreux), les quelques services presse que je reçois (tout aussi peu nombreux) et les livres reçus en cadeau mais pas encore lus font que ma PAL ne semble jamais baisser, malgré tous mes efforts. Et pourtant, je lis énormément ! J’en suis venue à me dire que ma PAL est un gouffre sans fond et qu’il y a peu de chances que j’en vienne à bout un jour. Je l’ai accepté depuis longtemps, et même j’apprécie d’avoir une très grande Pile À Lire 😄 J’aime me poser devant et réfléchir au prochain livre que je vais sortir 👀 Mais la lectrice problématique, elle, ne verra que la longueur de ma PAL et nous juge, ma PAL et moi, comme si j’entassais mes livres dans son propre salon 🙄
D’ailleurs, la lectrice problématique jugera aussi le nombre de livres que vous lisez. Et là, c’est au choix. Soit vous ne lisez pas assez parce que vous consacrez trop votre temps libre à un autre loisir (c’est interdit, voyons !), soit vous lisez trop et vous avez trop de temps libre (peu importe si vous lisez dans les transports, pendant vos pauses, le week-end et/ou le soir, si vous n’avez pas d’autre loisir ou si vous ne sortez que rarement, si vous êtes en vacances, etc). Si vous avez un rythme de lecture plutôt lent mais que, pour une fois, vous avez beaucoup lu, vous pourriez avoir envie de le partager sur vos réseaux. C’est une fierté personnelle que vous ne voulez pas garder pour vous, et c’est votre droit ! Mais la lectrice problématique n’est pas d’accord avec ça, elle vous critiquera car, après tout, « c’est pas une compétition ». Personne n’en a parlé de cette manière, le but n’est pas de se mettre en avant façon « j’ai lu + que toi, nanana », mais la lectrice problématique ne verra que ça 😮💨 J’ai même vu quelqu’un critiquer une lectrice qui était fière de dire qu’elle était entrée dans une librairie puis en était sortie sans avoir rien acheté ! La lectrice en question était contente, n’avait pas craqué devant toutes ces belles couvertures, n’avait pas cédé au chant des sirènes littéraires, et se faisait critiquer pour ça ! « Et alors, tu veux une médaille ? » Et bien oui, pourquoi pas ! Parce que, soyons honnête, entrer dans une librairie, c’est être tenté•e par toutes ces potentielles belles lectures ! Au final, si vous achetez, on vous juge, et si vous n’achetez pas… on vous juge ! 🤷♀️
J’en viens à me poser des questions sur ce profil de lecteurice problématique. Quel est son problème, au fond ? Pourquoi vouloir contrôler les lectures des autres, que ce soit dans les thèmes abordés, dans le nombre de lectures, dans la quantité de livres non lus, achetés, pas achetés ? Sans vouloir faire de la psychologie de comptoir (je ne suis pas psy), j’y vois surtout jalousie et insécurité. Ne sachant que faire de ses propres problèmes, la lectrice problématique s’érige en défenseuse ultime, persuadée de son bon droit, mais ne se rend pas compte à quel point elle peut se montrer toxique pour celleux qu’elle prétend défendre.
Car la lectrice problématique, à l’instar de celle dont je parlais en début d’article, est toujours « militante, lgbtqia+ friendly, douce » (j’ai failli m’étouffer de rire à ce moment-là, j’avoue 😂), « avec de belles valeurs » (c’est évident 😂), mais vous dira que puisque vous n’êtes pas d’accord avec elle, c’est que votre safe place est « violente, incestueuse, avec de la pédocriminalité, des fantasmes chelous, etc ». Cette personne ne me connaît pas, n’a pas été voir ce que je partage, et ne connaît pas non plus ce que je ne partage pas, bien sûr. Oui, je lis surtout des thrillers sombres, de la dark fantasy, des romans horrifiques, mais ça ne représente pas la totalité de mes lectures ! Je n’en parle pas, mais j’aime aussi parfois me tourner vers les romans contemporains, les classiques, la cosy fantasy, les romans doux, la littérature japonaise… et oui ! Mais la lectrice problématique, trop pressée de juger, ne verra que ce qui la confortera dans ses idées biaisées et ne cherchera pas plus loin.
La lectrice problématique me fait plutôt pitié. Oui, je sais, le mot est fort, mais c’est pourtant vrai. En se comportant de cette façon, elle passe à côté de belles personnes, de belles histoires, de récits poignants qui font grandir. Je la plains, sincèrement.
Mais ce n’est pas à nous d’amener les lecteurices problématiques à comprendre ce qui les rend problématiques, parce que la discussion n’est pas possible. C’est à elleux d’en prendre conscience, ou de payer les conséquences de leurs actes. En revanche, ce que nous pouvons faire, c’est continuer à lire ce que nous voulons, à partager nos belles lectures, celles qui nous font vibrer, celles qui ne passent pas, celles qu’on n’attendait pas. Parce qu’il y aura toujours des lecteurices qui apprécieront ce que vous avez à dire et à lire 🤗